Quand vous préparez la visite extensive d'un pays comme la Norvège, vous réalisez que deux mois, c'est vraiment court. Et que, par conséquent, il faut faire des choix.
Mais s'il y a bien un thème que nous voulions aborder au travers de Drive Your Adventure, c'est de l'intégration du peuple Sami dans la Norvège moderne, de la place qui lui est faite, des défis qu'il doit affronter pour préserver son mode de vie. Encore fallait-il trouver un interlocuteur. Ce qui aurait pu se révéler être un challenge bien plus délicat si nous n'avions pas trouvé, magie de l'Internet, Anniina Sandberg et son site Visit Natives, qui met en relation les voyageurs friands d'un tourisme authentique et éco-responsable avec des familles samies, essentiellement celle de Nils Mikkelsen Sara, éleveur de rennes et nomade. Seul hic, si Nils, est "facilement" accessible durant l'hiver et la grand transhumance qui a lieu sur le continent (dans le Finnmark), il accompagne ses bêtes l'été sur l'île de Sørøya. Nous allions donc devoir faire un détour par la quatrième plus grande île du pays. Et après coup, on peut vous dire que le crochet en valait la peine rien que pour ce lieu sauvage et magique !
Honnêtement, et sans vouloir paraître blasés, nous pensions avoir tout vu après les Lofoten, au point de se dire qu'il allait être difficile de montrer autant d'enthousiasme sur le reste du voyage. Erreur d'appréciation monumentale ! (Et on s’en veut un peu !), Sørøya est tout simplement sensationnelle de beauté, dans toutes les directions, des montagnes aux falaises tombant à pic dans la mer en passant par la verdure s'étendant à l'infini.
C'est dans ce contexte que nous arrivions chez Nils pour la soirée, rejoints plus tard par son meilleur ami Simon. Quelques bières (toujours avec modération, qui nous suit partout), de la viande de renne frite dans du beurre et étalée sur du pain avec de la confiture d'airelles rouges (cueillis sur l’île...), comme la mangent les Samis, et nous échangions pendant plusieurs heures sur le mode de vie de notre hôte.
Pour commencer : pourquoi le nomadisme ? Tout simplement parce que les rennes sont des animaux migrateurs, qui s'enfoncent dans les terres l'hiver pour se rapprocher des côtes à la belle saison (près de 4000 vivent sur Sørøya l'été, appartenant à une dizaine d'éleveurs). Un rythme de vie qui vient avec des contraintes, puisque Nils doit passer de longues périodes loin de sa famille qui vit principalement à Kautokeino, lieu de villégiature d’une grande communauté samie.
Insuffisant toutefois pour le décourager, car Nils est très attaché aux traditions de son peuple. Comme celle des joiks, les chants typiques de cette communauté (un temps interdits par les Chrétiens), généralement écrits en l'honneur d'une personne (et Nils se défend pas mal quand il donne de la voix !). Mais surtout à l'élevage de rennes, qui est protégé par la loi norvégienne comme étant la prérogative exclusive du peuple sami, les animaux ne pouvant s'acheter et se transmettant uniquement par voie de succession. Nous étions face au descendant d'une lignée d'éleveurs pluriséculaire, rien que ça !
La famille de Nils vit donc de la vente de viande de rennes, de peaux, et de tout ce qui peut-être utilisé, c'est-à-dire à peu près tout. Mais aussi du tourisme, domaine qu'il développe avec l'aide d'Anniina depuis quelques années. Au programme, des séjours d'été à Sørøya, mais surtout la possibilité de suivre les rennes l'hiver pendant leur grande migration, en scooter des neiges, en logeant dans le lavvu traditionnel et paré de la tunique samie, le gatki ! Une nouvelle source de revenu qui permet de pérenniser ce mode de vie, d'éveiller les consciences aux problèmes rencontrés par sa communauté mais surtout de transmettre et faire connaître leurs traditions et cet héritage d’une grande richesse.
Par exemple, le réchauffement climatique et les hivers imprévisibles rencontrés depuis une dizaine d'années peuvent s’avérer déterminant dans le quotidien de son troupeau.. Une neige qui fond la journée et gèle la nuit peut en effet empêcher les rennes de se nourrir, et obliger leurs propriétaires à faire venir de la nourriture extérieure, augmentant les coûts et allant totalement à l’encontre du principe même d’un élevage sauvage et 100% naturel. Ou encore le bouleversement que rencontre ce peuple millénaire face à l'émergence des pays modernes, leur territoire étant traversé par les diverses frontières séparant la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie. Heureusement, pour se faire entendre, Nils et les siens bénéficient depuis 1989 de la présence du Parlement sami de Norvège, qui leur permet d’échanger de façon très constructive avec les peuples natifs du monde entier mais surtout de faire remonter leurs revendications et de faciliter leurs interactions avec la société dite moderne, et notamment le Parlement norvégien. Bref, une vie loin d'être de tout repos pour Nils et sa famille. Difficile pourtant d'imaginer le bonhomme se départir de son sourire et de sa bienveillance. Lui qui nous a accueillis à bras ouverts durant l'été nous attend déjà l'hiver prochain !